Blog: "On ne joue pas avec la transparence" - Entretien avec L'Agefi

Met dank overgenomen van P. (Pierre) Moscovici i, gepubliceerd op donderdag 2 april 2015.

Je vous invite à lire mon long entretien au quotidien suisse L'Agefi sur la fiscalité et les relations avec la Suisse. J’y insiste sur l’importance de la vague de transparence qui déferle en Europe et sur des relations de confiance avec notre partenaire suisse.

Les Etats membres devront faire des rapports tous les trois mois sur les conditions accordées aux entreprises. N’est-ce pas exagéré? Pourquoi pas simplement chaque année?

Il y a une exigence de transparence qui est forte. Il est vraiment nécessaire de pouvoir agir.

Je reviens d’une audition devant le Parlement européen sur la fiscalité. Il y a une exigence de transparence qui est forte. Il est vraiment nécessaire de pouvoir agir. Cette périodicité est une périodicité raisonnable. Il est par ailleurs indispensable que la Commission européenne soit bien au cœur du système d’échanges d’informations car c’est elle qui pourra déclencher des procédures d’infractions et donc des sanctions qui seront sans nul doute exigées par les citoyens et le Parlement européen. Il est très important que la Commission européenne puisse occuper ce rôle central. On ne joue pas et on ne plaisante pas avec la transparence. Des situations de planification fiscale agressive ont toujours lieu et elles s’appuient sur des réglementations opaques, bien souvent exagérément favorables, permettant à des entreprises de bénéficier d’optimisations fiscales excessives pouvant parfois s’apparenter à des évasions. Tout cela n’est évidemment pas supportable alors qu’au même moment nos concitoyens ont été appelés à contribuer fortement par leur effort fiscal à la réduction des déficits des Etats-membres.

Le système devra être opérationnel l’an prochain déjà. N’est-ce pas précipité?

Il faut aller vite, très vite. Il faut prendre conscience du degré d’urgence politique que revêt cette question et de la lassitude de nos concitoyens de voir cette dissymétrie entre les personnes physiques qui font leur devoir et certaines entreprises multinationales qui donnent l’impression parfois de vouloir y échapper. C’est fondamental que ce hiatus soit résorbé. Personne ne peut ignorer cette exigence politique. Ce serait une faute que de le faire. La Commission Juncker a donc voulu aller vite et a présenté sa proposition quatre mois après sa prise de fonction. Maintenant, il revient aux Etats membres de prendre leurs responsabilités et de faire en sorte que cette directive - qui est très attendue - soit adoptée par le Conseil et puisse entrer en vigueur début 2016.

L’échange automatique d’informations pour la fiscalité privée se met en place également. Le cumul et la rapidité ne vont-t-ils pas créer des problèmes qui vont décrédibiliser les réformes dans les différents Etats membres?

Il y a une révolution de la transparence qui est en marche. C’est un souffle puissant, qui emporte sur son passage les pratiques d’optimisation inacceptables pour nos concitoyens.

Au contraire. Il y a une révolution de la transparence qui est en marche. C’est un souffle puissant, qui emporte sur son passage les pratiques d’optimisation inacceptables pour nos concitoyens. Et qui met aussi fin au secret bancaire. Il s’agit d’un mouvement aujourd’hui diffusé à l’échelle mondiale dans la lignée des propositions de l’OCDE dans son projet BEPS (Base erosion and profit shifting) - que j’ai soutenu quand j’étais ministre français de l’Economie et des Finances -, et dans la lignée des accords Fatca négociés par les Etats-Unis. C’est dans le sens d’une diffusion de l’échange automatique d’informations à l’échelle mondiale qu’il faut aller. Et je me réjouis que nous ayons paraphé avec la Suisse un accord sur la transparence fiscale le 19 mars. Cela marque une avancée majeure dans la lutte contre l’évasion fiscale et une brèche fondamentale dans le secret bancaire. Il en ira de même - car nous continuons à négocier ce type d’accords - avec le Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin ou encore Andorre. Il ne doit pas y avoir de halte ni de ralentissement dans cette marche vers la transparence. Il faut être conscient que ce n’est pas contradictoire avec l’intérêt des entreprises, que ce n’est pas contradictoire avec la politique des affaires et que c’est un mouvement mondial qui correspond à une attente citoyenne essentielle.

Comment justifier la rétroactivité sur dix ans? Quel est le but? Obtenir des réparations et compensations?

L’objectif est de connaître les pratiques existantes depuis leur origine il y a dix ans. Car il serait quand même facile de ne vouloir légiférer que pour le futur. Les informations répercutées par la presse et les enquêtes de la Commission européenne démontrent que tout cela porte sur des pratiques existantes et non sur de nouvelles pratiques pour le futur. Il n’est pas question qu’il y ait une forme d’amnistie pour ce type d’accords fiscaux. Ce ne serait pas compris et ce ne serait pas compréhensible non plus.

Il pourrait donc y avoir des sanctions pour les pratiques du passé?

Nous devons d’abord éclaircir le principe du mécanisme, et permettre l’application de l’échange automatique d’informations. Ce sera aux Etats membres eux-mêmes de décider des suites qu’ils donneront aux échanges d’information qu’ils déploieront entre eux.

L’OCDE met en place des normes sur la fiscalité des entreprises. Elles ne sont pas encore fixées. Ça n’aurait pas été plus logique que l’UE attende pour fixer les siennes?

Nous voulons aller tout à fait dans le sens des démarches de l’OCDE. Je redis mon soutien à la démarche BEPS qui avait été engagée par Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE. Simplement, nous voulons aller aussi plus vite et plus loin! L’OCDE veut insister, on le sait, sur l’échange spontané d’informations à l’égard de certaines pratiques préférentielles. Nous sommes favorables à la Commission européenne de sauter cette étape et d’adopter l’échange automatique d’informations. Si le secret bancaire est en train de mourir, c’est parce que les Etats-Unis ont lancé Fatca. Ce qui a créé ce tsunami de la transparence.

Vous pourriez alors vous contenter de vous aligner sur les recommandations de l’OCDE.

Je souhaite pour ma part que l’Union européenne soit leader en matière d’échange automatique d’informations sur les rulings. Je serai très fier si cela devait être le cas.

Je souhaite pour ma part que l’Union européenne soit leader en matière d’échange automatique d’informations sur les rulings. Je serai très fier si cela devait être le cas. Je n’ai nul doute qu’à partir de ce moment-là, l’OCDE jouera tout son rôle et souhaitera aussi étendre ce principe à l’échelle d’un standard mondial. D’ailleurs, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a déjà évoqué cette possibilité lors du G20 de Brisbane en novembre 2014, je l’ai fait lors du G20 Finances à Istanbul en février, je le referai aux assemblées générales du Fonds monétaire international dans quelques semaines.

Pensez-vous vraiment que les Etats-Unis participeront à la transparence fiscale des entreprises?

Je pense que l’avenir est à un standard mondial.

Attendez-vous de la Suisse qu’elle discute d’un accord avec l’UE à ce sujet?

Je connais très bien la Suisse. C’est un pays ami et voisin. J’ai des relations de confiance et de transparence avec ce gouvernement.

Je connais très bien la Suisse. C’est un pays ami et voisin. J’ai longtemps été un élu local frontalier. J’ai des relations de confiance et de transparence avec ce gouvernement. J’ai toujours soutenu de telles relations entre la Suisse et ses partenaires européens. Et le volet fiscal n’y déroge pas. L’échange automatique d’informations doit devenir la règle. Et je pense que la Suisse a compris qu’elle doit surfer sur cette vague de transparence, s’appuyer sur les nouvelles normes internationales de l’OCDE sur l’échange automatique. La Suisse est un partenaire crédible qui à terme devra respecter les règles financières internationales. Il faudra bien qu’elle puisse s’engager dans le mouvement que nous lançons, à la suite de l’accord paraphé sur la transparence fiscale entre l’Union européenne et la Suisse. Nous aurons l’occasion d’en reparler car nous avons le temps pour ça.

Pourquoi la Suisse ne se contenterait-elle pas de s’aligner sur les normes de l’OCDE en préparation?

Nous allons en tout cas lui faire l’offre d’aller plus vite. Notre porte est ouverte.

A propos de l’échange automatique de renseignements fiscaux: bien des Suisses ont été choqués que des données HSBC en possession de l’administration française et concernant aussi des personnes n’ayant pas fraudé le fisc ont été données aux médias. Vous ne pensez pas que cet épisode décrédibilise l’idée que les données fiscales échangées resteront confidentielles, confinées aux seules administrations fiscales?

Au final, toutes ces affaires auront été utiles car elles ont permis à la communauté internationale et à l’Union européenne d’agir.

Je pense que la presse est là pour faire respecter la transparence. Au fond, l’échange automatique a pour but de se mettre à niveau et d’avoir entre les administrations des échanges d’informations du même ordre. Moi je ne crains pas la transparence, je ne crains pas la publicité, et dans publicité, il y a public. Il faut bien sûr s’assurer de la protection des personnes. Je comprends très bien que quelqu’un qui n’est pas concerné soit choqué. Mais justement, la meilleure façon de faire, c’est l’échange automatique d’informations. Ça permet de disposer par définition d’informations précises et effectives. Je préfère une bonne réglementation à une mauvaise fuite. Au final, toutes ces affaires auront été utiles car elles ont permis à la communauté internationale et à l’Union européenne d’agir. En transformant ce qui pouvait paraître être un problème en une opportunité.

Les Suisses ont le sentiment que l’Union européenne leur impose des règles et qu’ils n’ont pas voix au chapitre pour se déterminer.

La Suisse est un pays qui n’a rien à craindre de la transparence. Ni de la coopération avec ses partenaires.

La Suisse est un pays qui n’a rien à craindre de la transparence. Ni de la coopération avec ses partenaires. La Suisse est un pays qui a la capacité d’être pleinement un partenaire crédible, un partenaire fiable. J’ai toujours entretenu avec Madame Eveline Widmer-Schlumpf - hier comme ministre des Finances et de l’Economie, aujourd’hui comme commissaire européen -, des relations très fluides. Je sais qu’elle a du courage, et que ce courage est payant. Parce qu’au final, la place de la Suisse ne peut être que renforcée par la transparence. Les banques suisses ont d’ailleurs anticipé tous ces changements. Elles savent qu’elles ont des capacités professionnelles, des services à offrir qui sont d’une autre nature que ce que le secret bancaire du passé pouvait permettre. Je n’ai pas de doute sur la capacité de l’économie suisse - et du secteur financier en particulier - à s’adapter à cette révolution de la transparence. Donc j’encourage la Suisse à s’engager résolument sur cette voie, tout en respectant bien sûr ses règles démocratiques et son rythme décisionnel. La Suisse n’a rien à en craindre et tout à y gagner.

Vous respectez son système politique, mais la Suisse doit de toute manière s’aligner sur les grandes nations.

Je respecte la souveraineté suisse. C’est un pays qui partage avec nous un même marché. Elle est également membre des accords de Schengen. La Commission n’a pas une approche de contrainte mais de coopération. Et je continue à penser que nous avons mutuellement à gagner dans notre rapprochement. Je le redis, je connais bien le système politique suisse et je connais bien la Suisse, je ne voudrais en rien sembler influer sur sa souveraineté. Je fais cette suggestion en plein respect de la souveraineté helvétique. Je suis malgré tout convaincu qu’avancer dans la coopération relève de notre intérêt mutuel.

Si la Suisse acceptait l’accord fiscal sur les rulings, vous viendriez en Suisse pour le signer?

Oui. Je préférerais venir à Berne pour l’occasion.

A propos d’économie en général : ce sont les marchés financiers qui relancent la conjoncture européenne actuellement. Ne craignez-vous pas une crise de confiance financière comme en 2008 qui remette tout en question?

Nous avons aujourd’hui dans l’Union européenne bien des instruments qui permettent de conjurer le spectre d’une crise financière. Et je pense que l’on sous-estime beaucoup la révolution que représente l’union bancaire, impliquant un mécanisme de supervision et de résolution. Pour ce qui est des crises des dettes souveraines, nous avons maintenant le Mécanisme européen de stabilité, qui est un outil très puissant. Le contexte d’aujourd’hui est un contexte beaucoup plus solide, beaucoup mieux régulé que celui de 2008. Et c’est de nature à donner confiance. Même si évidemment il faut toujours éviter les exubérances spéculatives.

Pensez-vous que l’Union européenne pourra surmonter ses difficultés économiques?

Aujourd’hui, nous avons une vraie reprise en Europe. Même si elle doit être consolidée.

Aujourd’hui, nous avons une vraie reprise en Europe. Même si elle doit être consolidée. Même si la croissance potentielle est encore insuffisante et que nous devons encore renforcer ces aspects structurels. C’est bien l’objectif de cette Commission, qui n’a qu’une seule priorité: la croissance et l’emploi. C’est ce que nous voulons faire à travers l’encouragement aux réformes structurelles. C’est que nous faisons avec une approche à la fois rigoureuse et flexible des finances publiques et également avec le Plan Juncker pour réduire le déficit d’investissement en Europe.